Marie Maertens

A l'occasion de l'exposition Chipboard

Ecole supérieure d’art et de design d’Orléans - février 2010

 


De loin, on dirait du bois… De loin, on dirait peut-être une peinture… De loin, on dirait un décorum de salle d’attente… De loin, car Jean-Marie Blanchet brouille les regards et les interprétations, redéfinit les médiums et les fonctions.


Pour sa première exposition personnelle, Chipboard qui eut lieu à l’école supérieure d’art et de design d’Orléans, Jean-Marie Blanchet a fait une proposition contextuelle. Dans ce lieu aussi utilisé pour des conférences, cours ou présentations diverses, le premier geste de l’exposition, que le public ne remarqua certainement pas, fut de repeindre en blanc l’ensemble et d’en retirer les éléments parasites. Ayant orienté son travail autour de la peinture abstraite, la grande comme la petite, il cite autant Kasimir Malevitch, l’école suisse, que les bâtiments industriels des zones périurbaines formant de grands aplats monochromes dans le paysage. Sans le revendiquer, c’est aussi une manière pour l’artiste d’inscrire son corps dans l’espace et de repenser le temps de l’exposition. Quand il s’attaque au mur, il « prépare le support et matifie l’espace ». Alors que châssis et cimaises sont souvent invisibles, Jean-Marie Blanchet les inclue dans sa pratique picturale et inverse les rapports entre le fond et la forme.


De cet espace un temps plus zen et blanc, il demeure une photographie. Trois fauteuils y sont installés, comme témoin de l’univers de salle d’attente que peut aussi recouvrir le lieu à l’origine. Une plante verte y fut ajoutée, renvoyant au motif du paysage et aux posters souvent accrochés dans ces mêmes salles. Il fait aussi écho au paysage réel que l’on voit à travers la vitre et qui s’impose comme un poster grandeur-nature. « Un paysage qui fait image. » Cette photographie résume l’univers de l’artiste, articulé autour d’un héritage de l’abstraction et d’éléments qui puisent dans les sphères décoratives et domestiques. Les arts majeurs côtoyant les arts mineurs. Jean-Marie Blanchet remémore un entourage qui fut qualifié par Pascal Pinault des banlieues ou des périphéries de l’art, car ça n’est pas toujours par la grande porte que l’on devient plasticien. « Je suis rentré dans l’art par le côté… et les reproductions de Monet, Manet ou de la Joconde que l’on voyait sur les boîtes de chocolats et de gâteaux. » Ce goût pour la low culture se manifeste par l’emploi récurrent du simili cuir et un jeu subtil non dénué d’humour sur le statut décoratif d’une œuvre d’art… Quel galeriste n’a pas entendu un collectionneur demander un tableau assorti à son canapé ?… Alors autant faire directement un tableau en tissu d’ameublement ! « A l’ère où Mondrian a été récupéré par L’Oréal, je fais l’inverse... » résume-t-il. Une façon tragi-comique de témoigner de l’échec du modernisme. L’une de ses vidéos (Adhésifs sur mur, 2007), présentée l’année dernière dans les modules hors les murs du Palais de Tokyo, montrait une grille qui se décollait, comme une peinture qui aurait coulée jusqu’à disparaître et symboliser l’échec de la représentation. Oscillant toutefois dans un statut ambigu, car Jean-Marie Blanchet revisite sans cesse cette abstraction géométrique qui a failli, il récuse ainsi l’expressionnisme, la psychologie et le romantisme affiliés à l’image de l’artiste. « Je mets à distance le corps, le moi, le JE pour intégrer l’art dans une sphère plus collective. Quand on enlève la strate spirituelle de la naissance de l’abstraction, elle renvoie alors à une image moins personnelle. Les choses que je mets en forme, comme le formica, les faux bois ou tissus divers, sont gérées par une grille qui vient de la peinture abstraite mais provoquent des images qui renvoient à cette sphère plus généraliste. » L’idée n’est pas de faire une représentation à l’identique, mais un geste sur un matériau référencé ou déjà peint, comme le soulignait Antoine Perrot dans ses textes et expositions sur les Ready-made Color.


Outre la photographie qui donne à voir un « espace d’exposition exposé », cinq panneaux représentent des reproductions de morceaux de bois, imprimés sur toile. De grand format, ils sont posés lourdement au sol, un peu comme des objets patauds et intrigants qui engloberaient le spectateur. La peinture est ainsi matérialisée, pensée en volume et objectivée, dans le sens qu’elle est rendue à un statut d’objet. Elle se regarde autant de face que de profil. Avec humour et en référence au bois OSB utilisé pour les maquettes d’architecture ou en décoration, constitué de copeaux compressés et collés, Jean-Marie Blanchet décida de photographier les planches de son atelier, comme s’il s’agissait de chutes, dans un certain ordre désassemblé… Ces images sont ensuite retouchées à l’ordinateur afin de constituer cette trame qui mélange des formes modernistes et géométriques à la définition du support, par leur matériau. Le bois renvoie aux châssis, mais est reproduit sur une toile… L’œuvre serait-elle ainsi une fausse planche, un terrain glissant… mais aussi une référence à la tradition ancestrale du travail fait en atelier ?… Jean-Marie Blanchet aime brouiller les codes, tant qu’il reste bien ancré dans la géométrie de son abstraction…

Marie Maertens